Disclose dévoile une enquête environnementale passée sous les radars en France:
De l’Espagne au Ghana : quand les vêtements « recyclés » finissent à la décharge
On connaît l’empreinte écologique des vêtements neufs, gourmands en eau et en produits chimiques ; bien moins celle des textiles déposés dans les bornes de recyclage en Europe. Dans une ingénieuse enquête publiée début mars, le quotidien espagnol El País a retracé leur parcours au moyen de puces GPS. Un voyage de plusieurs milliers de kilomètres, de l’Espagne aux Émirats arabes unis, jusqu’aux décharges à ciel ouvert en Afrique.
Des mouchards dissimulés dans les vêtements
À un jet de pierre de la frontière française, les rues de San Sebastián, sur la côte nord de l’Espagne, sont constellées de bennes vouées au recyclage des vêtements. Des journalistes du quotidien El País ont choisi l’une d’entre elles pour déposer un jean usagé, dans lequel ils ont dissimulé un minuscule traceur GPS. Ils ont fait de même pour des manteaux, chemises et pulls — 15 au total — versés dans des points de collecte opérés à travers le pays par des associations ou des grandes marques, comme H&M et Zara. Objectif de l’opération : découvrir ce qu’il advient des textiles envoyés à la benne en Europe pour être, en théorie, réutilisés ou recyclés.
Onze mois plus tard, la moitié des habits jetés sont toujours géolocalisés en Espagne, entassés dans un entrepôt ou sur un terrain vague. L’autre moitié a été revendue par des réseaux de collecte à des grossistes, qui les expédient ensuite par avion, notamment vers les Émirats arabes unis. Le petit pays de la péninsule arabique est devenu une véritable plaque tournante de la seconde main, comme l’a découvert El País.
https://english.elpais.com/climate/2025-03-01/where-do-the-clothes-go-after-we-put-them-in-a-recycling-bin-an-11-month-investigation-covering-thousands-of-kilometers.html
La région de Des Moines compte plus de 15 data centers.
« Cette expérience s’appuie sur un échantillon minuscule, mais elle illustre bien comment des tonnes de vêtements circulent à travers le monde », racontent les journalistes. Ainsi du jean déposé à San Sebastían, qui a transité par Dubaï, avant d’être réexpédié au Ghana, dans l’ouest de l’Afrique. Un périple de 17 000 kilomètres, qui s’ajoute aux plus de 4 000 kilomètres déjà parcourus par le pantalon depuis son lieu de production, en Turquie. Ou quand le « recyclage » aggrave l’empreinte carbone de la mode.
L’économie de la fripe en péril
C’est dans la capitale du Ghana, Accra, que s’étend le marché de la fripe de Kantamanto, l’un des plus grands au monde. Pas moins de 15 millions de vêtements y changent de main chaque semaine. Des petit·es commerçant·es achètent au poids des paquets de textiles, sans en connaître le contenu. « C'est comme une loterie. On n'a pas le droit de les retourner et on ne connaît la qualité qu'après les avoir ouverts », témoigne Vida Oppong, qui les revend sur les réseaux sociaux.
Or, ces dernières années, la commerçante constate une baisse drastique de la qualité des textiles qu’elle réceptionne. Une conséquence directe du développement des friperies occidentales et des plateformes en ligne comme Vinted, où s’échangent les meilleures pièces. « Avant, au marché, on pouvait même trouver du Chanel. Aujourd'hui, les pays du Nord gardent le meilleur et nous renvoient les déchets. C'est du pur colonialisme textile », dénonce Kwamena Boison, cofondateur de The Revival, une association locale dédiée au recyclage. D’après lui, entre 10 et 40 % des textiles envoyés au Ghana sont inutilisables.
Pour ne rien arranger, les revendeurs d’occasion subissent aussi une concurrence de plus en plus féroce des vêtements neufs bas de gamme, expédiés avant même d’avoir été portés. Vendus quelques dizaines de centimes d’euros en Europe, ils fragilisent un peu plus une économie locale de la fripe devenue exsangue. Qui se débarrasse des surplus dans la nature.
Décharges sauvages
Sur les plages d’Accra, le sable est couvert « d’un tapis de chaussures et de plastiques emmêlés de chemises, lacets et pantalons », décrit El País. Plus loin, sur la terre ferme, s’élèvent de gigantesques montagnes d’habits usagés. Certaines sont en feu, dégageant des fumées noires toxiques. Les autres se dégradent lentement en microplastiques. Car, c’est là un autre travers de la mode contemporaine : 9 vêtements sur 10 présents dans les décharges ghanéennes contiennent des fibres synthétiques, selon un rapport de Greenpeace Afrique, publié en septembre dernier.
Une décharge à ciel ouvert à proximité du marché de Kantamanto, à Accra, au Ghana. Photo : The Revival
Le Ghana n’est pas un cas isolé. Le Pakistan, le Kenya ou le Maroc sont d’autres destinations pour les « chemises dont nous n'avons pas besoin et les robes que nous ne porterons qu'une fois, voire jamais », tranchent les journalistes d’El País. Leur enquête est qualifiée de « vertigineuse » par Mathilde Pousséo, déléguée générale du collectif Éthique sur l’étiquette, interrogée par Disclose : « Elle doit nous faire comprendre qu’il faut cesser d’acheter des vêtements neufs ».
En France, c’est justement pour limiter l’impact environnemental et humain de la surproduction de vêtements qu’une proposition de loi est en cours de discussion. Elle vise notamment à interdire la publicité pour les marques de fast-fashion. Votée à l’unanimité en mars 2024, elle a été mise en pause pendant un an à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, puis finalement examinée la semaine dernière par les sénateur·ices, qui l’ont complètement détricotée. Pendant ce temps, au Ghana, la mer continue à vomir des lambeaux de textiles.
« La surconsommation de vêtements est incompatible avec les limites planétaires. Il faut de nouveau s’attacher à nos habits, les soigner, les réparer. Le matérialisme nous sauvera »
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