dana hilliot<p>Je continue à vous inonder de remarques sur l’œuvre de Lauren Berlant. Je voulais parler de l'impact que ces lectures avaient sur moi, mais je suis tombé sur cette page d'hommages (peu après son décès en 2021) publiée dans The Nation, et le témoignage de Maggie Doherty (l'autrice de The Equivalents: A Story of Art, Female Friendship, and Liberation in the 1960s, livre que je n'ai pas (encore) lu mais ça ne saurait tarder) est tellement juste - et tellement Berlantien ! J'ai préféré vous le proposer plutôt que le mien (ça viendra plus tard de mon côté) :</p><p>“Imagine Reading Those Words” (Maggie Doherty)</p><p>"Je ne sais pas comment le dire autrement : L'œuvre de Lauren Berlant a changé ma vie. J'ai lu The Queen of America Goes to Washington City (1997) au début de mes études supérieures - j'ai trouvé le livre brillant et, qui plus est, extrêmement amusant - mais l'œuvre qui m'a vraiment ébranlée est Cruel Optimism (2011). Je me souviens encore de l'endroit où j'étais assis dans la bibliothèque lorsque j'ai lu la première ligne du livre : "Une relation d'optimisme cruel existe lorsque quelque chose que vous désirez est en fait un obstacle à votre épanouissement."</p><p>Imaginez que vous lisiez ces mots en tant que doctorant en anglais après 2008, en pleine récession : Vous êtes déjà anxieux et déprimé. Vous ruinez votre santé physique et mentale pour tenter d'obtenir une bourse sérieuse dans l'espoir de décrocher un emploi universitaire inexistant, dans un endroit éloigné de tous ceux que vous aimez et dans un secteur qui rend trop de gens malheureux. Imaginez ensuite que vous soyez cet étudiant diplômé, que vous lisiez ces mots et que vous viviez une mauvaise relation amoureuse que vous ne pouviez pas vous résoudre à quitter.</p><p>Pour ce type de personne, c'est-à-dire pour moi, le travail de Berlant a mis en lumière de tels cas de paralysie professionnelle et personnelle : J'étais attachée au monde universitaire et à mon petit ami, même s'ils me détruisaient, parce que je revenais sans cesse à "la scène du fantasme selon lequel cette fois-ci, la proximité de cette chose vous aidera ou aidera un monde à devenir différent de la bonne manière". Au fur et à mesure que je lisais le livre, les pièces de ma vie se sont réarrangées et sont tombées dans un nouvel ordre, un modèle que je pouvais enfin voir.</p><p>J'aimerais pouvoir dire que je suis sortie de la bibliothèque, puis du campus et de ma relation. Mais "tout attachement est optimiste", comme l'a noté Berlant, et il m'a fallu des années pour m'en extraire et m'attacher à d'autres objets moins "problématiques". Je ne suis plus universitaire et je n'écris plus de travaux d'érudition, mais je pense que tout ce que j'écris est influencé par la pensée de Berlant. Son travail m'a appris à regarder de près les façons dont les gens s'attachent à des objets (amants, nations), et à regarder aussi les conditions matérielles dont découlent l'affect et l'attachement. Ses écrits m'ont amenée à la psychanalyse, au féminisme, à l'organisation. Dans ma vie et dans mon travail, j'essaie de suivre l'exemple de Berlant et de politiser les sentiments : les considérer comme faisant partie de l'expérience publique et collective, plutôt que comme des caractéristiques de la vie privée et individuelle.</p><p>De temps en temps, en parcourant Twitter, je vois quelqu'un dire que son anxiété ou sa dépression n'est pas un "trouble" mais plutôt une réponse émotionnelle raisonnable à la vie sous le capitalisme, ou à la veille de l'apocalypse climatique. Je like le tweet, puis je me souviens de l'un des slogans du "feel tank" que Berlant a organisé avec d'autres chercheurs et artistes : "Déprimé ? C'est peut-être politique". "</p><p><a href="https://www.thenation.com/article/culture/lauren-berlant-obituary/" rel="nofollow noopener" translate="no" target="_blank"><span class="invisible">https://www.</span><span class="ellipsis">thenation.com/article/culture/</span><span class="invisible">lauren-berlant-obituary/</span></a></p><p>(NB : Je songe là à la gêne que je ressens envers l'importance que prennent ces dernières années les "diagnostics" (souvent psychiatriques) dans la vie intime et sociale (et politique) : comment on s'attache à son "diag", comment on le revendique - et ce faisant, comment sont impactées les relations sociales que ces revendications dessinent -, et comment ce fameux diag finit par saturer le récit de soi - le dépolitiser, le des-historiciser, le dé-spatialiser - bref, cette naturalisation de la souffrance vient s'échouer dans les cases de la psychopathologie contemporaine (laquelle se marie fort bien avec les catégories des anthropologies néolibérales. Mais. Chuuuttt. Vais encore me faire taper sur les doigts)</p><p><a href="https://climatejustice.social/tags/LaurenBerlant" class="mention hashtag" rel="nofollow noopener" target="_blank">#<span>LaurenBerlant</span></a> <a href="https://climatejustice.social/tags/AffectTheory" class="mention hashtag" rel="nofollow noopener" target="_blank">#<span>AffectTheory</span></a></p>